"Rachel vient mettre la table ! je ne peux pas tout faire tout seul tu sais." Bordel. Pourquoi ça doit toujours être moi qui dois mettre cette foutue table. Ok ma soeur a six ans, mais je suis sûr qu'elle saurait mettre une fourchette, un couteau et une assiette sur la table. Sauf que mon père est trop gentil. Angel est la chouchoute de la maison. Surtout depuis que notre mère est morte. D'ailleurs, ça va bientôt faire un an. Un an qu'elle nous a quittés. Tous les jours, je me lève avec cette espérance de la voir dans la cuisine avec mon père, en train de rigoler autour d'une tasse de café et du journal matinal. Mais non. Sa chaise est vide et mon père est silencieux. Je sais que c'est dur pour lui. Ça se voit rien qu'aux visages qu'il fait quand il pense être seul. Son salaire est trop petit pour nous trois. Et je suis sûr qu'il fait quelque chose d'autre en plus vu qu'il rentre souvent tard. Si j'avais eu l'âge de travailler, je n'aurais pas hésité à l'aider. Ô papa, qu'est-ce qu'on va devenir...qu'est-ce que tu vas devenir ? Je secoue la tête et sors de mes pensées. Je pose mon livre sur ma commode et sors de ma chambre. La porte de la chambre de ma soeur est entrouverte et je passe un regard. Elle est en train de jouer aux barbies. Je ne sais pas pourquoi, mais ça me fait sourire. Ma soeur je l'aime plus que tout. Même si des fois, elle est énervante. M'enfin, j'ai encore que douze ans, donc j'espère que notre relation va bien évoluer au fil du temps. Je finis d'observer ma soeur et je rejoins mon père dans la petite cuisine. Et oui, on a dû déménager. ça n'a pas été évident de s'habituer à un petit appartement. Notre maison me manque. Mais c'était cela ou la rue. Donc autant vous dire que je préfère largement ce petit appartement au quatrième étage. "Bah alors tu en as mis du temps ! Rachel, il faut que tu sois un peu plus responsable. Ma chérie je sais que c'est dur sans ta maman, mais maintenant c'est toi qui dois prendre son rôle. Enfin je ne te demande pas d'aller faire les courses, des trucs du genre. Mais m'aider à mettre la table ou à nettoyer l'appartement, ce serait adorable." Il passe une main dans mes cheveux et dépose un baiser sur mon front. Je sais ce que je dois faire. Mais je n'arrive pas à m'habituer. J'ai envie de pleurer, mais aucune larme ne sort. À la place, ma gorge se noue et je hoche la tête. Il ne faut pas que papa me voit pleurer. Il faut que je sois forte. Je ne peux pas laisser ma famille se décomposer. Non, maman n'aurait pas voulu cela. Elle aurait voulu que je sois forte et que j'aide papa et Angel. Oui, il faut que je tienne le coup. Je souris à mon père et celui-ci retourne aux fourneaux. Je dépose sur la table les couverts, les assiettes et les verres. Puis j'entends mon père crier. "Raaah merde ! Je me suis brûlé." Je cours vers lui et arrête le feu. Effectivement il avait mis le gaz au maximum. Je soupire et prends sa main pour la mettre sous l'eau froide. Mon père ne s'était toujours pas habitué au fait de devoir faire la cuisine. Disons qu'il n'a surtout pas l'habitude du four ou des plaques de notre appartement. Il est plus habitué à ses ustensiles dans son restaurant. "Merci Rachel, qu'est-ce que je ferais sans toi." Il me prend dans ses bras et je me laisse faire. Ça me fait du bien. Les signes d'affection n'étaient pas d'actualité en ce moment. Il coupe l'étreinte et sert à manger. "Angel à table !" Je crie. Celle-ci déboule dans la cuisine en rigolant et criant 'à manger'. Elle devait vraiment avoir faim. Des fois, je me demande ce qu'ils lui servent dans sa cantine. Surtout que ma petite soeur est pas mal difficile. On s'assoit tout autour de la table et nous faisons une petite prière. On n'est pas une famille super pratiquante ou chrétienne. Mais depuis la mort de maman, on prie souvent, histoire de remercier le bon Dieu pour cette journée et prier pour notre mère. Ma mère, ma maman...c'est dur, vraiment. Des fois, j'ai peur de ne plus revoir mon père. Je me dis que c'est peut-être la dernière fois que je le vois. Après tout, un accident cela arrive très vite. Prenez exemple pour ma mère. Elle retournait de l'hôpital en voiture quand un chauffard l'a percuté. Combien elle avait de chances de s'en sortir ? Pas beaucoup. Elle a directement foncé dans le mur d'à côté. Et je n'ai pas eu le temps de lui dire au revoir.